BCBG, Bacchus Club des Bons Goûteurs :
ÉCHO des pressoirs

 

Autres numéros : numéro précédent dernier numéro numéro suivant

L'écho des pressoirs n°276 mai juin2022

Version finale imprimable dunuméro 276 (fichier .pdf, nécessite un lecteur compatible, tel que Adobe Reader). Si le téléchargement n'a pas lieu, faites un Ctrl-clic sur le lien, et choisissez télécharger sous..

Editorial : Faut-il avoir peur des levures exogènes ?

Oui et non !

L’engouement actuel pour des vins toujours plus naturels s’accompagne d’une suspicion généralisée envers tout ce qui est qualifié d’« intrants », dont les levures elles-mêmes. En effet, pour un certain public, seules les levures « indigènes » ont droit de cité dans le vin, car gage d’authenticité du terroir et garantie d’ancrage dans la spécificité du vignoble local. Cette suspicion doit-elle, a contrario, nous conduire à crier haro sur les levures exogènes, en les assimilant tout de go à un vil produit chimique propre à dénaturer la libre expression du terroir ?

OUI ?

Avouons honnêtement que ce rejet n’est pas sans fondement : l’objectif avoué de quelques-unes de ces levures produites industriellement - et dont certaines appellations ont une fâcheuse tendance à abuser… -, peut effectivement être surtout de modifier artificiellement le goût du vin.

MAIS…

Pour autant, les choses n’étant jamais, dans la réalité, aussi simples que dans les slogans, il convient de rappeler au moins deux points importants qui permettront d’étayer les diverses opinions sur un certain nombre de faits.

1) Le premier point est que, comme le rappelait une étude documentée de Vitisphère que nous avions signalée dans le numéro 273 de nos « Vendanges de Presse » de janvier, en réalité, dans la plupart des cas : il n’existe aucun lien entre les levures du vignoble et la « levure indigène » du chai !

Pourquoi ?

Nous savons certes que la pruine du raisin contient un grand nombre de levures. Ce que nous savons moins, c’est que l’immense majorité de ces levures est impropre à faire du vin. Ces levures de raisin impropres à la vinification ne supportent en effet ni l’acidité ni le sucre présents dans la pulpe ni, encore moins, l’alcool et l’anaérobiose qui résultent du processus de fermentation. Pire encore, par leur effet « killer », elles tendent à inhiber le développement des SC (« Saccharomyces cerevisiae »), responsables de la fermentation du raisin, mais ultra minoritaires sur le raisin lui-même.

Si ce n’est pas principalement du vignoble lui-même, d’où viennent donc ces fameuses « levures indigènes » considérées comme garantes de la spécificité du terroir ?

L’étude de Vitisphère révèle qu’elles viennent en fait principalement des chais eux-mêmes, qui sont un lieu bien plus favorable que le vignoble à la prolifération de toutes les gammes de SC. La preuve en est apportée par exemple par les coopératives, où l’on retrouve dans tout le chai la même levure à l’œuvre, alors que les raisins proviennent de vignobles qui peuvent être très différents par leur sol, leur exposition, leurs traitements et leurs variétés de raisins. De plus, comme la famille des SC est large avec beaucoup de concurrence interne, l’étude de Vitisphère révèle également que, dans un même chai, d’une année sur l’autre, le vigneron n’est même pas assuré de retrouver le même type dominant de SC, sans pour autant que la qualité du vin en soit impactée.

Ajoutons enfin qu’il est difficile de retracer le chemin par lequel ces diverses variétés de SC ont progressivement investi les chais car les spores, très résistantes et très facilement transportables, peuvent y être apportées par de multiples canaux.

2) Le second point est que le but principal, voire unique, de la plupart des levures exogènes est tout simplement de permettre (et souvent même de sauver) le bon déroulement de la fermentation. C’est la raison pour laquelle la plupart de ces levures sont absolument neutres sur le plan gustatif et n’impactent donc en rien la libre expression du raisin.

Rappelons au passage toute l’importance d’un bon déroulement de la fermentation alcoolique puisque, si le vigneron se contentait d’abandonner totalement le moût à son évolution naturelle, dans le meilleur des cas le produit naturel final serait du vinaigre, et non du vin.

Une fermentation réussie doit donc être rondement menée, c’est-à-dire sans la moindre interruption sur une période moyenne de 10 jours.  Or beaucoup de facteurs concourent à gêner son bon déroulement. Nous venons de parler de l’effet killer de certaines levures du raisin qui, en inhibant les SC du chai, peuvent parfois empêcher tout départ de fermentation. Parfois, cette lutte avec effet killer provient même des diverses souches de SC du chai, qui se combattent entre elles et dont aucune ne parvient à dominer les autres, donc à lancer le processus de fermentation. Attendre le bon vouloir de la levure indigène peut certes donner un vin parfaitement réussi, mais dans nombre d’autres cas cela expose à des dangers de fermentations poussives, voire à des arrêts de fermentations très difficiles à relancer, synonymes de déviations et de contaminations très préjudiciables au vin.

Ajoutons que, du fait de l’évolution climatique et de la tendance générale à la réduction des rendements, beaucoup de vins atteignent maintenant une teneur en alcool que beaucoup de SC ne supportent plus. D’où, pour ces vins, le recours obligé à des levures exogènes de type champenois, neutres sur le plan gustatif, mais seules à pouvoir supporter des degrés d’alcool flirtant avec les 16°.

Rappelons enfin que, pour exogènes et industrielles qu’elles soient, ces levures n’en sont pas moins vivantes que les indigènes. Apportées dans les toutes premières cuvaisons en nombre suffisant pour être dominantes, elles assurent en effet les fermentations des cuvaisons suivantes sans nouveaux apports, car elles se multiplient ensuite toutes seules en vraies levures de chai, tout comme le feraient de bonnes indigènes. A tel point qu’on peut même suspecter une origine exogène à des levures qui se seraient ensuite tellement bien adaptées à leur chai d’adoption qu’elles en seraient devenues indigènes à vie…

Alors, refusant ce qu’on pourrait appeler l’« exogénophobie » systématique, demandons-nous plutôt si, tout comme l’expérience prouve qu’il y a de bonnes et de mauvaises indigènes,  il n’y aurait pas, certes, de mauvaises, mais aussi de bonnes exogènes. Ou pour le dire autrement : de bonnes et de mauvaises raisons d’utiliser des exogènes. Et donc si une distinction stigmatisante entre levure indigène, vantée comme « naturelle », et exogène, décriée comme « artificielle », ne serait pas elle-même un peu… artificielle. Que la meilleure gagne face au jugement souverain du palais ! La meilleure des levures n’est-elle pas celle qui fait lever… le coude ?

Jean-Louis

 

 

nouveau: traduction immédiate en plus 100 langues, dont le biélorusse, l'ouïghour, l'ukrainien, le birman... et le basque et le corse, mais pas le breton !!

 

madeonmac

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé,
à consommer avec modération.

Webmestre :