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ÉCHO des pressoirs

 

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L'écho des pressoirs n°269 mai-juin 2021

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Editorial : Cachez ce bois, que je ne saurais boire

La quête actuelle de toujours plus de « naturel » est une lame de fond qui est en train de remodeler puissamment le royaume de Bacchus. Même si elle ne prend pas toujours la forme d’une prédilection exclusive pour les vins estampillés « naturels », elle se traduit souvent aussi par une méfiance accrue envers l’usage du bois durant la phase de l’élevage, et donc par un rejet de principe à l’égard de tout vin soupçonné d’être « boisé ».

Derrière ce reproche, il y a l’idée, évidemment pas toujours fausse, que le bois est un intrus qui dénature le vin et ne sert qu’à tricher sur sa qualité intrinsèque, dans la mesure où son seul but serait de donner artificiellement à un vin des saveurs et une structure qu’il ne possède pas par lui-même.

Il est vrai, en effet, que nous avons tous été confrontés à des vins qui nous donnaient, goguenards que nous sommes !, envie de chanter en chœur « mon beau sapin, roi des forêts » tant le goût de bois était envahissant, au point d’écraser toute autre perception gustative. Tout comme le Bourgeois Gentilhomme de Molière disant à propos de la musique : « Est-ce que les gens de qualité en ont ? J’en aurai donc ! », le vinificateur désirant vinifier plus haut que son... fût, se dit visiblement lui aussi « Est-ce que les vins de qualité ont du bois ? J’en aurai donc !». Avec un certain succès à la clef puisque ce goût de bois, rappelant -de loin- celui de grands Bordeaux, peut effectivement être interprété par un public peu regardant comme la marque d’une qualité supérieure.

Mais le bois n’est-il que cela, et son effet sur le vin ne consiste-t-il qu’à lui transmettre artificiellement d’inopportunes saveurs exogènes ?

Pour répondre à cette question, il faut partir du rôle de la barrique dans le processus d’élevage du grand vin de garde. Ce dernier, ayant bénéficié d’une extraction poussée, est gorgé de tanins, gages de sa charpente, de sa complexité et de sa longévité. Mais les tanins sont une grande famille, depuis les plus petits, qui sont les plus agressifs, jusqu’au plus polymérisés, qui sont les plus soyeux. Et malheureusement, dans leur jeunesse, surtout lorsqu’une extraction poussée est allée les chercher jusque dans les pépins voire dans les rafles, ils sont très faiblement polymérisés, donc très agressifs. En vieillissant, ils tendent certes naturellement à se polymériser, mais dans le milieu réducteur de la cuve puis de la bouteille, ce processus est entravé, donc trop lent, voire incomplet, au point de pouvoir rendre définitivement imbuvable un vin pourtant potentiellement excellent.

C’est précisément là qu’intervient la barrique, par un double processus révélateur des potentialités du vin : D’une part, en effet, la porosité du bois permet une microoxygénation des tanins qui favorise leur évolution. Mais d’autre part, le bois possède lui-aussi ses propres tanins, appelés ellagitanins, qui ont la particularité de pouvoir se combiner avec ceux du vin, permettent à ces derniers de se polymériser plus parfaitement.

Lorsqu’on met un vin dans un fût neuf, ce processus se passe en deux phases très distinctes. Au cours des 4 à 6 premiers mois, le bois neuf se contente de relarguer ses ellagitanins dans le vin, ce qui donne certes à ce dernier une dominante boisée extrêmement envahissante (on parle même de « jus de poteau »). Mais au cours des mois suivants, le processus s’inverse : au bout des 12 à 24 mois que peut durer l’élevage dans le même fût, le goût de boisé exogène finit par disparaître car les ellagitanins se sont quasi complètement combinés aux tanins du vin (le reste de la polymérisation s’achève durant la phase de vieillissement en bouteille), permettant à ces derniers de révéler davantage le soyeux et le velours dont ils étaient porteurs.

Certes, si le vin mis en fût neuf n’est pas assez puissant par lui-même pour mériter un tel élevage, ses tanins seront trop faibles pour supporter le contact de leurs cousins en surnombre et une grande partie de ces ellagicousins demeurera perceptible dans le produit final sous la forme d’un excès de boisé. Mieux vaut dans ce cas des fûts de 4ème ou 5ème vin, dans lesquels, tels de petits chaperons rouges, des vins moins ambitieux pourront allègrement chanter :

« Promenons-nous dans le bois Tant que l’ellagi n’y est pas Car s’il y était
Il nous masquerait. »

Mais, à l’inverse, on voit ici que, dans un élevage en barrique correctement mené, l’équation 1+1=2 n’est pas de mise car nous quittons le quantitatif pour le qualitatif : dans le produit final vieilli en bouteille, les ellagitanins du fût ne subsistent en effet plus sous la forme d’un boisé artificiel surajouté aux tanins naturels du vin, mais ont été totalement sublimés dans les tanins du vin plus qualitatifs qu’ils ont permis de révéler.

En revendiquant une vinification sans bois, l’usage de plus en plus répandu de la vinification en jarre ou en amphore est dans l’air du temps. La porosité de l’argile permet certes elle aussi une forme de microoxygénation mais, pour les raisons évoquées ci-dessus, elle convient surtout à des vins relativement plus légers en tanins. Dans le cas de vins plus fortement taniques, elle a souvent tendance à les durcir par rapport à la même cuvée élevée en fûts.

Alors, gardons-nous de jeter la barrique avec la lie du vin. Au fond, il en va d’elle comme de la rhétorique chère à nos ancêtres les Grecs, qui disaient que la meilleure rhétorique est celle que l’orateur convaincant a réussi à faire oublier : malgré son rôle irremplaçable dans l’élevage d’un grand vin de garde, le meilleur bois est celui que le dégustateur émerveillé ne remarque même plus.

Jean-Louis, rédacteur en chef.

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