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L'ŒNOLOGIE POUR TOUS : LA VINIFICATION
LES VINS BLANCS LIQUOREUX DE POURRITURE NOBLE

Définition

Les vins doux naturels sont le produit d'une fermentation incomplète qui laisse une certaine proportion de sucre du raisin non transformée en alcool. C'est parce que ce sucre n'est pas du sucre ajouté mais provient du raisin lui-même que le vin doux est dit « naturel ».

Selon leur richesse en sucre résiduel, on distingue arbitrairement les vins doux en demi-secs (jusqu'à 20 g/l), moelleux (jusqu'à 60 g/l) et liquoreux (> 60 g/l mais pouvant même dépasser 200 g/l).

Les vins demi-secs et moelleux s'obtiennent par une vinification assez proche des vins blancs secs, si ce n'est que la vendange doit être assez mûre pour être suffisamment riche en sucre et que la fermentation doit être stoppée avant son terme, généralement par la mise en œuvre de procédés physiques et/ou chimiques.

En ce qui concerne les liquoreux, au contraire, la richesse en sucre nécessaire à leur production ne peut être atteinte au cours de la macération que grâce à divers procédés de concentration des moûts : passerillage sur pied ou sur claies, congélation sur pied ou en chambre, pourriture noble.

Le passerillage

Le passerillage consiste à laisser se dessécher les baies, soit en les laissant plus longtemps sur pied exposées au soleil, soit en plaçant les grappes vendangées sur des claies dans des pièces chauffées et ventilées pendant parfois plusieurs mois (cf. les vins de paille du Jura) jusqu'à l'obtention de concentrations pouvant atteindre 400 g/l de sucre. Cette surmaturation forcée n'aboutit d'ailleurs pas à une simple concentration du moût par déshydratation, mais aussi à une modification notoire de l'équilibre sucre/acides au profit du sucre. C'est cette présence massive du sucre qui rend ensuite la fermentation de tels moûts beaucoup plus difficile que chez les vins blancs secs.

La congélation

La congélation sur pied conduit aux « vins de glace » alsaciens, allemands, autrichiens et canadiens. On l'obtient en laissant les raisins sur la vigne jusqu'aux gelées hivernales pour ne les vendanger qu'en dessous de 6° C à 7° C. Le procédé de cryoextraction vise à reproduire artificiellement ces conditions en congelant les baies mûres en chambre froide. Par les deux procédés, naturel ou artificiel, seules les baies ou parties de baie les plus mûres produisent un moût assez sucré pour ne pas geler, de sorte le pressurage pratiqué à ces températures permet de n'extraire que le moût le plus sucré des baies les plus mûres. Les autres pressées à plus haute température sont récoltées et vinifiées séparément pour donner d'autres vins.

La pourriture noble

La pourriture noble nécessite l'intervention du champignon Botrytis cinerea sur des raisins parfaitement mûrs, la maturité se mesurant au fait qu'ils titrent à au moins 12% à 13% vol d'alcool en puissance, et ont un pH inférieur à 3,2. Ce résultat ne peut être atteint que sur certains terroirs et certains climats, en limitant les rendements à 40 à 45 hl/ha.

Dans un premier temps, les filaments du champignon pénètrent la pellicule par ses microfissures et la décomposent par macération enzymatique sans faire éclater le grain, qui de jaune doré devient de couleur brunâtre. C'est la phase dite du raisin « pourri plein ». A ce stade, la pellicule est devenue complètement poreuse et l'intérieur du grain se dessèche encore plus rapidement, jusqu'à la phase du raisin dit « rôti ». C'est le stade auquel il doit être récolté rapidement, car il devient alors très sensible à la « pourriture vulgaire », maladie toujours menaçante dans ce type de surmaturation et qui rendrait le raisin totalement impropre à la vinification par excès d'acidité volatile, et par l'apparition de goûts phénoliques et de moisi, accompagnés de fortes odeurs soufrées.

Le traitement de la pourriture noble

Pour accéder à cet état idéal de « rôti » sans risque de pourriture vulgaire, une alternance pendant au moins 2 à 4 semaines de périodes humides et ensoleillées est absolument indispensable, comme l'offrent dans le vignoble bordelais les brouillards matinaux suivis d'après-midi ensoleillées.

Comme la pourriture noble ne se développe pas uniformément sur toutes les grappes, ni même sur toutes les parties de la grappe, la récolte par « tries successives » est indispensable pour ne récolter que les grains parfaitement « rôtis ». Les vendanges peuvent donc comprendre jusqu'à quatre passages et s'étaler jusqu'au mois de novembre. Il est alors utile de d'isoler et vinifier séparément les moûts en fonction de la date de ramassage, car leur comportement ne sera pas le même durant la vinification, les premières récoltes étant généralement les meilleures.

En amont de la vendange, toute une série de mesures veillent à créer les conditions propres à éviter le danger de pourriture vulgaire : tailles courtes et opérations en vert rigoureuses, dont l'éclaircissage éliminant les grappes trop serrées et l'effeuillage autour des grappes pour faciliter leur exposition au soleil.

La distinction entre pourriture noble et vulgaire n'est pas toujours parfaite sur le terrain. En cas de doute, elle peut toutefois être évaluée par dosage de leurs sous-produits respectifs, la première générant du glycérol et la deuxième de l'acide gluconique. Dès que la pourriture vulgaire devient trop menaçante, mieux vaut précipiter la vendange et miser sur la cryoextraction pour réussir quand même à ne recueillir que le moût provenant des seuls grains « rôtis ».

Les effets de la pourriture noble

La réduction du volume de la récolte sous l'influence de la pourriture noble peut atteindre 50%. S'ajoutant aux faibles rendements du vignoble avant botrytisation, l'apparition du champignon fait encore plus chuter le rendement des meilleurs vins entre 15 et 24 hl/ha. Cette réduction n'est pas le simple résultat de la déshydratation des grains, car pour se développer le champignon consomme une grande partie du sucre des baies. C'est donc par des pertes successives très importantes de quantité que l'on obtient la concentration voulue pour des liquoreux de qualité.

Plus encore que le sucre, le champignon dégrade aussi la quasi-totalité de d'acide tartrique des baies, ce qui les désacidifie utilement en modifiant leur rapport acidité/sucre. Les différences de terroirs n'en subsistent pas moins puisque les vins de Sauternes ont un taux d'acidité très inférieur aux liquoreux jurançonnais ou de Loire.

Le champignon produit aussi sous la pellicule un beta-glucane visqueux agissant comme un colloïde protecteur qui s'oppose à la clarification du vin. Il impose donc au vigneron des méthodes douces d'extraction visant à limiter le plus possible la diffusion de ce glucane dans le moût.

Quant au goût caractéristique de miel et fruit confit propre aux liquoreux botrytisés, il provient du sotolon, autre composé généré par le champignon.

L'extraction des moûts

Contrairement aux vins blancs sec, le foulage des raisins est généralement utilisé car en faisant baigner les raisins rôtis dans le jus libéré il permet mieux d'en extraire le sucre.

Lors des premières pressées, on évite généralement l'égrappage afin de faciliter la circulation du jus dans le moût, mais les pressées suivantes, qui chez les liquoreux doivent se faire à des pressions beaucoup plus fortes que chez les vins blancs secs, doivent être éraflées afin d'éviter un passage dans le moût des constituants tanniques et végétaux. Ces fortes pressions sont en effet nécessaires car, à la différence des moûts de vins blancs secs qui livrent d'abord leurs jus les plus sucrés, chez les liquoreux les jus les plus sucrés sont si concentrés et par là si difficiles à extraire qu'ils ne sortent qu'avec les dernières pressées. Comme les pressoirs pneumatiques ne permettent pas d'obtenir de telles pressions, ce sont les pressoirs hydrauliques qui donnent ici les meilleurs résultats.

A ce stade-là de la vinification, le sulfitage du moût peut encore n'être que très léger (entre 3 et 5 g/hl) car la surmaturation a déjà entraîné l'oxydation de ses substrats phénoliques, qui sont ses constituants les plus oxydables.

Le débourbage

Les débourbage d'un moût de liquoreux est plus difficile que celui d'un vin blanc sec car la différence de densité et de viscosité entre les bourbes et le moût est moindre. La richesse du moût en colloïdes rend par ailleurs l'usage de l'argile bentonite inefficace comme clarificateur. Le vigneron se contente donc d'un débourbage partiel de 18 à 24 heures, allongé à 3 ou 4 jours s'il a des doutes sur la qualité de la pourriture, et les moûts sont vinifiés avec des taux de turbidité allant jusqu'à 600 NT, soit trois fois plus que pour les moûts de vin blanc sec.

La correction des moûts

Avant le départ en fermentation, l'acidité peut être corrigée. Pour compenser le faible taux d'azote des grains botrytisés, on fait également un apport d'azote sous forme de sulfate d'ammonium et d'ion ammonium. Un apport de vitamine B1 (thiamine) est également souvent pratiqué pour favoriser le développement des levures, ainsi que pour limiter le taux de combinaison du dioxyde de soufre (SO2) pendant la phase de conservation, ce qui assure un meilleur taux de SO2 libre protecteur.

Dans les caves produisant aussi du vin blanc sec, un ajout de bourbes de ce dernier augmente significativement la fermentescibilité du moût du liquoreux.

La conduite de la fermentation

La fermentation d'un moût de liquoreux est beaucoup plus laborieuse que celle d'un moût de vin blanc sec, car elle est entravée par plusieurs facteurs conjugués : un fort taux de sucre qui inhibe l'action des levures, une carence en éléments nutritifs des levures, notamment en azote, dont une grande partie a déjà été consommée par le champignon, et la production par le champignon de polysaccharides ralentissant la cinétique fermentaire.

Comme toute fermentation difficile génère de l'acidité volatile, ce taux est plus élevé chez les liquoreux que chez les vins blancs secs. C'est pourquoi la législation leur accorde des plafonds spécifiques plus élevés. A cela s'ajoute les risques de piqûre acétique ou lactique, encore plus présents dans ce type de moût.

Pour compenser ces effets inhibiteurs de fermentation et les risques qui lui sont associés, le processus fermentaire doit donc être fortement soutenu par un choix adéquat de levure exogène résistante au sucre, par des apports azotés conséquents en début de fermentation (pour tendre vers une teneur idéale de 190 mg/l) et par une oxygénation appropriée. Cette oxygénation est encore plus indispensable durant tout le cycle fermentaire si celui-ci est conduit en cuve.

Outre une meilleure oxygénation, la fermentation traditionnelle en barriques permet aussi une meilleure maîtrise de la température, dans la mesure où les petits volumes génèrent moins de chaleur et peuvent ainsi se faire à température ambiante. Mais si la température descend trop bas, notamment en fin de fermentation, un chauffage du chai devient nécessaire.

Le mutage

Les équilibres gustatifs nécessaires aux liquoreux s'appuient sur une relation entre la teneur en sucres et le degré alcoolique : la sucrosité des premiers doit estomper le caractère brûlant de l'alcool, et ce dernier éviter la lourdeur d'un taux de sucre élevé. Plus un vin est muté tôt, plus on augmente son taux de sucre au détriment de son taux d'alcool, et inversement. On respecte souvent une relation de 13+3, 14+4 et 15+5, dans laquelle le premier chiffre représente le taux d'alcool du vin et le second son taux de sucre résiduel exprimé en taux d'alcool potentiel (= taux d'alcool supplémentaire virtuel si ce sucre résiduel avait été lui aussi transformé en alcool). Comme il faut en moyenne 17 g de sucre pour produire 1g d'alcool, 13+3 signifie donc que l'on a conservé 3*17 = 51g de sucre dans le vin.

Généralement, cet équilibre est atteint par assemblage de plusieurs lots, les uns plus sucrés, les autres plus alcoolisés. Il est bien rare en effet que la fermentation s'arrête naturellement au point d'équilibre désiré : certaines barriques dépassent ce point, d'autres voient leur fermentation fortement ralentie, accompagnée d'une production anormale d'acidité volatile. Dans les deux cas, le processus fermentaire doit donc être arrêté, généralement par addition de SO2 accompagnée d'un chauffage qui en renforce l'effet. Quelques jours plus tard, le taux de SO2 libre doit être vérifié, et éventuellement complété jusqu'à une teneur idéale de 60 mg/l.

L'élevage

Les liquoreux de pourriture noble sont des vins de garde dont les qualités organoleptiques s'améliorent avec le temps en milieu réducteur, d'abord par un élevage de quelques mois à 2 ans en fût, hermétiquement fermé et régulièrement ouillé, puis par un vieillissement en bouteille de quelques années.

La clarification s'obtient par soutirage tous les trois mois. Les fûts sont alors lavés à l'eau froide, aseptisés à l'eau bouillante et sulfités avant d'être remplis à nouveau par le vin soutiré.

Ce sulfitage s'explique par le fait que le fort taux de sucre résiduel rend toujours présent le risque d'une reprise de la fermentation, surtout quand un peu de pourriture vulgaire s'est glissé dans la pourriture noble.

Outre le sulfitage des fûts, un contrôle du SO2 libre continue de s'imposer pour veiller à ce que ce taux reste autour de 60 mg/l durant toute la période d'élevage.

Comme le SO2 libre se combine peu à peu, de sorte que des apports répétés pour maintenir son taux risquent de faire dépasser le plafond autorisé en SO2 total, diverses autres mesures peuvent être adoptées afin de minimiser les apports en SO2, telles qu'une baisse de la température de conservation aux alentours de 0° C et un ajout d'acide sorbique ou d'acides gras.

Si le vin est sain et a été régulièrement clarifié par soutirages durant une longue phase d'élevage, il est prêt à être mis en bouteille. Dans le cas contraire, à ce stade-là il peut être utilement clarifié à la bentonite.

Le cas particulier du Tokay

Le plus célèbre est le Tokay Aszu, du nom de son cépage. Comme le Sauterne, il s'obtient au départ par botrytisation de raisins surmûris, mais sa vinification est très différente puisque ses raisins, fortement passerillés sur souche en plus de la pourriture noble, sont broyés en une pâte épaisse sur laquelle on verse un vin nouveau en fin de fermentation, riche en alcool et en acidité. Après une macération de 24 à 39 heures, le mélange est pressé.

Les divers types de Tokay Aszu correspondent à la quantité de pâte utilisée. Le vin est mesuré en tonneau de 136 litres et la pâte en hottes (appelées « puttonyos ») de 20 à 25 kg. A trois hottes par tonneau, on obtient un « Puttonyos 3 » à 60 g/l de sucre résiduel, et ainsi de suite jusqu'au « Puttonyos 6 » qui a bénéficié de 6 hottes et contient 120 g/l de sucre. Quant à la mythique « Aszu essencia », elle est obtenue exclusivement avec des raisins passerillés et botrytisés, sans vin additionnel. Son moût est tellement concentré en sucre que sa fermentation s'arrête à 8° C d'alcool et son taux de sucre résiduel atteint 250 g/l.

A l'inverse des liquoreux classiques qui sont élevés à l'abri de l'air, le Tokay est élevé et s'améliore au contact de l'air, d'où son brunissement, car son taux combiné de sucre et d'alcool le rend de facto peu sensible aux altérations microbiennes.

 

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