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ÉCHO des pressoirs

 

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L'écho des pressoirs n°283 septembre-octobre 2023

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Editorial : Le « goût de souris » deviendrait-il tendance ?

Ceux de nos assidus lecteurs qui auront eu la curiosité de jeter un œil sur les Vendanges de Presse de cet EDP auront certainement été étonnés de constater que le défaut rédhibitoire du « goût de souris », que l’on croyait définitivement banni de nos chais grâce aux progrès décisifs de l’œnologie des dernières décennies, fait actuellement en France un inquiétant retour en force.

Les études et expériences menées par divers œnologues dans plusieurs régions de France montrent en effet que ce phénomène est directement corrélé aux pratiques vinicoles bannissant tout usage des sulfites. D’où la question légitime que peut se poser tout adorateur de la dive bouteille : cette altération extrêmement désagréable du vin est-elle obligatoirement le prix à payer (ou à tout le moins le risque à courir) pour obtenir un vin « sans sulfites ajoutés » ? Ou bien existe-t-il des solutions pour produire un vin à la fois « sans sulfites » et de qualité ?

Que les amateurs de ces vins se rassurent : plusieurs articles de ce même dossier montrent bien que certaines solutions existent. Nous le savions d’ailleurs déjà par expérience puisque, en dépit de rencontres assez souvent décevantes -avouons-le- avec ce type de vins, il nous est toutefois aussi arrivé -avouons-le aussi- d’en boire d’excellents : je n’en veux pour preuve que la très intéressante dégustation de vins nature dont nous a gratifiés l’année dernière notre cher ami Simon, fin dégustateur s’il en est !

Mais pour à la fois comprendre, d’une part pourquoi actuellement un grand nombre de ces vins ont autant de défauts souvent rédhibitoires, mais d’autre part aussi pour mesurer combien l’art est difficile et donc combien a de mérite un vigneron capable à coup sûr de produire un tel vin de qualité, commençons par lister les bonnes pratiques les plus courantes requises pour compenser l’abandon total des sulfites (au risque certes de lasser un peu le lecteur, mais d’un autre côté, si l’on veut se faire une opinion quelque peu fondée sur un sujet aussi clivant à propos duquel circulent tant d’idées toutes faites, autant savoir de quoi on parle) :

-  HYGIÈNE : Même si elle est loin de suffire, le première mesure est évidemment une hygiène absolument sans failles des chais, à grand renforts d’eau et de désinfectants.

-  CÉPAGES : Le choix des cépages a aussi son importance puisque par exemple le grenache, très oxydatif, développe plus rapidement un goût de souris que la syrah, cépage plus réducteur. Et, plus généralement, les cépages les plus tanniques seront privilégiés car leur tanin apporte une protection supplémentaire. Protection également augmentée par une extraction plus poussée des tanins via de plus longues cuvaisons, même si elles peuvent s’accompagner d’un peu plus d’amertume.

-  MICRO-ORGANISMES : Le choix des micro-organismes ajoutés (levures, bactéries et enzymes) a son importance : utiliser des levures non-saccharomyces pendant la phase préfermentaire, puis des saccharomyces exogènes spécifiques, au lieu d’attendre le bon vouloir de levures « indigènes » au comportement beaucoup plus imprévisible, apporte une sécurité supplémentaire. Ou encore sulfiter légèrement, tout en contrebalançant par les nouvelles levures consommatrices de sulfites récemment apparues sur le marché, afin de « nettoyer » le vin. Puis continuer en utilisant une sélection tout aussi ciblée de bactéries lactiques appropriées pour éviter toute déviation durant la malolactique.

-  ACIDIFIER : Le besoin en sulfites augmentant de façon exponentielle avec l’augmentation du pH, supprimer les sulfites oblige en contrepartie à acidifier le vin. Pour cela, l’usage courant est d’ajouter de l’acide tartrique (autorisé car déjà naturellement présent dans le raisin), ou d’opter pour la bio-acidification en utilisant une des levures acidifiantes récemment disponibles sur le marché. Encore plus bio : vendanger plus tôt, mais avec l’inconvénient d’un manque de maturité phénolique se traduisant par des tanins herbacés plus amers (ce qui entre alors en contradiction avec la nécessité d’une forte extraction des tanins pour mieux protéger le vin non sulfité).

-  SOINS POST FERMENTAIRES : Dans la phase post fermentaire, un filtrage tangentiel très poussé, un transfert de cuve sous azote puis plusieurs soutirages initiaux dans les mêmes conditions, protègent efficacement le vin durant cette étape de la vinification.

-  ENBOUTEILLAGE : Lors de la mise en bouteille, la meilleure façon de se dispenser de l’usage des sulfites en cours de vinification consiste à... ajouter une toute petite dose finale de sulfite ! Paradoxal ? C’est pourtant ce qu’autorisent même les très exigeants labels « Natur’l » , AVN et « vins méthode nature », tant il est vrai qu’actuellement il n’y a pas de moyen plus sûr et plus inoffensif d’assurer au vin un minimum de stabilité et de possibilité de garde une fois embouteillé.

-  BOIRE VITE : Dernière parade, largement appliquée par le public amateur de ces vins : les boire le plus tôt possible après la mise en bouteille, afin d’éviter que des défauts potentiels n’aient le temps se révéler.

On le voit à cette liste -non exhaustive- des contre-mesures alternatives très exigeantes : se passer de tout sulfite, même lors de la phase si stratégique de l’embouteillage, est déjà en soi une véritable gageure. Qui devient même quasiment « mission impossible » si, en plus, refusant les alternatives précédemment citées, le vigneron prétend vouloir se passer également de tout « intrant » pour laisser son vin se faire uniquement par ses propres moyens. À moins que ce vigneron ne possède une expertise hors du commun bien attestée (il y en a, mais ils ne sont pas légion, d’où le prix parfois faramineux de leurs bouteilles), toutes les conditions sont alors réunies pour favoriser, outre le goût de souris, la recrudescence d’anciennes maladies quasiment oubliées telles que la maladie de la tourne ou de la graisse.

Une enquête d’opinion faite conjointement chez les consommateurs et les professionnels (cf. toujours ce même dossier des Vendanges de Presse n° 283) montre que les professionnels, instruits par leur pratique, sont très majoritairement conscients de ces risques (même quand la vogue des « vins nature » les oblige à lui emboiter le pas). À l’inverse, peu de consommateurs le sont, puisque l’enquête montre au contraire qu’ils associent angéliquement le terme de vin « sans sulfites » non à « risques », mais très majoritairement à « pureté », « propre », « sain », etc. D’autres expériences montrent également qu’une grande partie (pas toute, évidemment) de ce public est néophyte, et donc soit n’identifie pas ces altérations du vin comme des défauts, soit même, ironie de l’histoire, va jusqu’à les plébisciter comme marqueurs du côté sain et naturel du vin ! D’où le titre de cet édito.

Écoutons à ce sujet le propos exaspéré (donc bien sûr outrancier, mais par là-même révélateur) imaginé par un journaliste de Vitisphère dans la bouche d’un vigneron fictif dépassé par ce type de public (avec lequel à l’avenir les vignerons seront pourtant de plus en plus obligés de compter ...) : « Mettez-vous à la place d'un jeune adulte qui n'a pas les outils, ni de recul. Tous les matins à la radio, on leur dit que c'est la fin du monde. Résultat : ils ne veulent plus faire de gamins, ils ne savent plus s'ils aiment les filles ou les garçons, ils sont tous vegan, [donc] ils boivent du vin nature... ».

Pourtant, les sulfites sont partout dans notre alimentation, et les mêmes qui prétendent ne pas pouvoir les tolérer dans le vin, même dans les proportions infimes où ils sont actuellement utilisés, en ingurgitent tous les jours des doses bien plus massives dans de nombreux autres produits (tels les fruits secs par exemple) visiblement sans en ressentir le moindre inconvénient. Ne peut-on alors légitimement se demander si l’impératif de « zéro sulfites ajoutés » justifie vraiment la prise de risques aussi fréquents d’altérations du vin et de régression de ses qualités organoleptiques ? Et donc si, actuellement du moins, loin des postures radicales des nouveaux adeptes du « sans sulfites », la position la plus sage n’est pas celle des labels de vins nature cités ci-dessus qui -fort discrètement il est vrai- en autorisent tout de même une dose minime -absolument indétectable au goût- lors de la mise en bouteille, afin de permettre à un vin qui aurait jusqu’ici réussi à triompher de toutes les difficultés de ce mode de vinification, puisse continuer à le faire une fois bouché ?

Ne désespérons pas non plus des progrès de l’éco-œnologie, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements. L’éco-viticulture et l’éco-viniculture sont en marche et leurs avancées nous laissent raisonnablement espérer que, y compris par leur effet collatéral sur l’ensemble du monde viti- vinicole, elles tendront à conduire non pas irrémédiablement à la régression évoquée plus haut, mais -globalement - vers des vins toujours plus sains.

En attendant ces lendemains qui chantent, trinquons ! Et à moins que vous ne soyez un adepte inconditionnel du « goût de souris », vous reprendrez bien... un petit sulfite ?

Jean-Louis.

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