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Editorial : Contient des sulfites
Cette mention, devenue obligatoire sur les bouteilles de vin, est destinée à nous mettre en garde contre
un additif présentant divers risques d’intolérance, en particulier chez les asthmatiques. A l’heure
d’une exigence grandissante de produits naturels, y compris dans le domaine viticole avec les raisins
bios puis, tout récemment, avec le label européen de « vin biologique », cette mention
peut légitimement susciter diverses questions: pourquoi conserver cet additif, y compris dans la charte du vin bio?
N’y aurait-il pas des produits plus sains pour le remplacer? Comment faisait-on avant quand on n’avait pas
encore inventé les sulfites?
Pour répondre à ces questions, il faut se rappeler que le vin tel que nous l’aimons n’est qu’un
stade intermédiaire dans la nature, car le produit ultime issu d’une fermentation complète 100% naturelle
du jus de raisin est bel et bien… le vinaigre ! Par son action sur les bactéries acétiques, le SO2
permet donc au vinificateur de maîtriser la flore microbienne du vin à tous les stades de la vinification
: sur les baies avant la récolte puis à l’encuvage, afin d’éviter la prolifération
de bactéries et même de certaines levures indigènes indésirables, durant l’élevage
afin de stabiliser le vin après sa fermentation malolactique ou même avant afin de l’empêcher,
comme dans les rosés et dans la plupart des vins blancs, et enfin à l’embouteillage afin d’assurer
sa bonne conservation.
Nos ancêtres les Gaulois étaient déjà des fervents adeptes de la dive amphore, mais vu les méthodes
d’alors pour produire et conserver le vin, je doute fort que les distingués membres de notre vénérable
association se soient pâmés devant leur crus qui, dans le meilleur des cas, devaient impérativement être
consommés très jeunes en raison de leur extrême instabilité. L’utilisation des sulfites
s’est surtout généralisée à partir du XIXème siècle, conséquence
de notre goût croissant pour les vins en bouteilles pouvant être conservés quelques années.
Car même actuellement, au contraire de ses concurrents tels que l’acide ascorbique ou le sorbate de potassium,
le SO2 est le seul produit qui soit à la fois un conservateur, un antiseptique, et un antioxydant. C’est ce
pouvoir antioxydant du SO2 contre les enzymes oxydatives qui permet d’éviter la détérioration
de la qualité de l’arôme et l’apparition de l’évent.
Paradoxalement, les sulfites sont aussi des produits naturels: ils sont générés en faible quantité par
la pellicule même du raisin, qui cherche ainsi d’elle-même à se protéger, et en plus grande
quantité (jusqu’à 30 mg par litre) par le processus de la fermentation alcoolique: ainsi, même
en l’absence d’apports extérieurs en SO2, aucun vin ne peut se vanter d’être sans sulfites.
D’ailleurs, aux doses habituellement pratiquées par les bons viticulteurs, même un buveur sans modération
n’a pas à craindre de dépasser les doses journalières admissibles en sulfites (rassurons-le:
il ne mourra pas de ça…). C’est encore plus vrai s’il consomme majoritairement du vin rouge,
moins demandeur en SO2 (maximum 160 mg/litre) car déjà naturellement stabilisé par ses tannins. Le
vin blanc a besoin de sensiblement plus de soufre (jusqu’à 201 mg/litre) pour se stabiliser, surtout s’il
n’a pas fait sa malolactique, et le vin liquoreux encore plus (jusqu’à 400 mg/litre) afin d’empêcher
son abondant sucre résiduel de repartir en fermentation. En outre, n’oublions pas que beaucoup d’autres
aliments contiennent pour leur conservation jusqu’à 10 fois plus de sulfites ajoutés que le vin, comme
par exemple les fruits secs ou les charcuteries.
Petite consolation supplémentaire : comme tout en ce bas monde, les sulfites aussi sont mortels. Au bout d’un
certain temps, en effet, les sulfites utilisés au cours de la vinification se désintègrent en s’assimilant à la
structure moléculaire du vin. Ils sont alors inactifs et on les désigne sous le nom de « sulfites
combinés » pour les différencier des « vrais » sulfites actifs, appelés « sulfites
libres », qui proviennent principalement du SO2 ajouté lors de l’embouteillage.
Certains vignerons jusqu’au-boutistes tentent bien de faire un vin absolument sans sulfites ajoutés, mais
il leur faut alors pratiquement transformer leurs chais en caisson étanche où l’on ne pénètre
qu’en combinaison aseptisée, et ils se trouvent bien démunis quand, malgré toutes ces précautions,
un incident se produit. Et même en cas de succès, mieux vaut ne pas garder trop longtemps ces vins en bouteille
ni les faire voyager. Dans tous les cas, plutôt que de chercher à bannir totalement le SO2, il paraît
préférable de privilégier un usage modéré et raisonné des sulfites.
Il faut en effet se méfier de vignerons peu consciencieux qui utilisent systématiquement et massivement les
sulfites comme cache-misère pour compenser une médiocre qualité de la vendange ou le manque
d’hygiène de leurs installations. Car malheureusement les sulfites peuvent aussi servir à récupérer
des grappes malsaines atteintes de pourriture grise, ou à s’épargner un suivi méticuleux des
processus de vinification et d’élevage par le recours à un sur-sulfitage préventif totalement
disproportionné.
Au vu de ces réflexions, on l’aura compris, la mention brute « CONTIENT DES SULFITES » n’a
pas grand sens car elle jette un même soupçon d’infamie sur le bon et le mauvais vigneron. Pour mieux
identifier les bonnes pratiques au service conjoint des bons crus et de notre santé, mieux vaudrait inciter les
vignerons à adopter une démarche qualité en modifiant légèrement l’intitulé de
la mention légale : « CONTIENT xxx MG / LITRE DE SULFITES ».
Jean-Louis