L'écho des pressoirs n°153 février 2007

Que seront les primeurs 2007 ?

Plus exactement, que boirons nous exactement lorsque nous dégusterons nos premiers 2007 ? La question mérite d'être posée, au moment où la Commission Européenne et le Gouvernement enchaînent les décisions modifiant considérablement la réglementation.

La Commission Européenne, dans un discours de Mme Fischer Boel, constate le 22/6/2006 :

• la consommation chute de 750 KHl par an ici en EU.
• nos exportations ont augmenté de 20% en 15 ans
• les pays émergents ont multiplié les leurs par 4 (USA) ou par 19 (Chili Australie)
• nous produisons trop de vins pour lesquels il n'y a pas de marché
• nos stocks équivalent à une année de production, et nous dépensons annuellement 500.000.0000 € pour la distillation qui transforme ce "lac de vin" en éthanol pour les voitures
• nos pratiques de vinification sont trop rigides
• nos règles d'étiquetage sont trop complexes, inflexibles pour les producteurs, incompréhensibles pour les consommateurs

Ouuuch... Sévère ! mais on sent ici percer l'idéologie du "progrès" : l'économie viti-vinicole ne saurait bien se porter qu'en augmentant sans cesse ses ventes et ses exportations. Voici quelques mesures envisagées dans une communication de la Commission au Conseil :

• arracher d'ici 5 ans 400.000 ha de vignes sur les 3,4 millions de la EU, avec aide financière à la clé, aide aux départs en retraite
• supprimer d'ici là les aides au stockage et à la distillation
• mettre en œuvre un étiquetage plus simple et plus clair
• adopter les pratiques viti-vinicoles acceptées internationalement par l'OIV.
• abolir l'exigence d'un degré minimal d'alcool

Les trois premières mesures semblent raisonnables, mais les dernières ouvrent — à mon très humble avis – la voie à des pratiques inquiétantes. Voici en effet quelques unes des décisions prises récemment :

• Autorisation d'utiliser les morceaux de bois (règlement CE 11-10-2006), sous certaines conditions. Sur l'étiquette, les mentions telles que "élevé en fût" sont heureusement interdites si on a utilisé les copeaux (mais "trempé dans copeaux" ne semble pas obligatoire...). Notre INAO national a posé (communiqué du 10-11-2006) le principe d'interdiction de l'utilisation des morceaux de bois dans l'élaboration des vins bénéficiant d'une Appellation d'Origine Contrôlée, tout en autorisant certaines expérimentations. Ce sujet fait polémique: dans son blog, l'œnologue Stéphane Toutoundji se déclare d'accord, tandis que D.E. Defaix, vigneron à Chablis, s'y oppose absolument. Pour lui " l'élevage sous bois apporte déjà des éléments gustatifs qui effacent partiellement les terroirs alors que ce terroir a fait la réputation de nos grands vignobles depuis plus de 1000 ans. Même si les générations, qui nous ont précédé, utilisaient le bois comme contenant. Il s'agissait de bois vieux, très épais et souvent très entartré ce qui limitait considérablement le contact du vin avec le bois. De plus, les futailles duraient très longtemps, parfois une vie, les foudres deux ou trois générations et n'apportaient pas un goût extérieur au terroir".

• Autorisation d'irriguer les vignes AOC (décret du 4-12-2006) : si l'été est trop sec, et les raisins trop petits, on obtiendra probablement ainsi de bon gros gras grains de raisin pleins de jus, jus quelque peu dilué... mais heureusement (mesure suivante) :

• Autorisation d'enrichir le degré alcoolique (jusqu'à +2,5°) par adjonction de moûts concentrés, éventuellement rectifiés. Il s'agit d'ajouter, au moment de la fermentation, des moûts de l'an passé (qui seront concentrés par un industriel du secteur). Donc mon 2007 contiendra quelques moûts 2006 ! Cette mesure est d'ailleurs présentée comme permettant de réduire les excédents de production ! Un aspect positif est l'interdiction concomitante de chaptaliser au sucre de betterave...

• Création d'une nouvelle appellation vins de pays « Vignobles de France » avec de 2 à 4 cépages divers provenant de diverses régions. Seuls les cépages seront mentionnés sur l'étiquette.

Il ya heureusement quelques opposants, comme la Confédération Paysanne, qui fait campagne contre les naufrageurs du vin, et affirme : « Il est désormais nécessaire de sortir des analyses macro-économiques sectorielles, et d'intégrer dans le débat la dimension culturelle du vin, son apport en terme de socialisation, de développement local, de construction de paysages identitaires, ... ».

J'ai envie d'ajouter : ... et d'intégrer la question du goût ! Les dégustations vont en effet devenir très difficiles : je distingue dans ce VDP 2007 un peu de syrah du Languedoc, sans doute irrigué modérément fin juillet, avec un peu de cabernet de Loire légèrement boisé au quercus, et un chouilla de pinot noir de Bourgogne enrichi d'un moût de tannat 2005 rectifié en 2006... allez je joue mon BACCHUS !

Vincent